Monter à cheval

Enfin ! Mais…
Mais ne doit pas être occulté le simple fait que le bipède que nous sommes n’est pas, mais alors pas du tout, apte à s’accorder spontanément avec la locomotion du cheval. En effet, pour que le cavalier demeure en équilibre sur le dos du cheval en mouvement, il doit apprendre à accorder les mouvements de son corps avec les allures particulières du pas, du trot et du galop pour ne citer que celles-là. Sans oublier qu’il ne s’agit pas de « tenir dessus à tout prix », mais de trouver un accord corporel tel qu’il ne gêne pas les mouvements du cheval, pour ne pas dire en observant ce que nous avons tous l’occasion de voir, ne pas « ENTRAVER » les mouvements du cheval Si j’osais, au risque de passer pour un gardien de musée ou je ne sais quel extra-terrestre, je dirais qu’il s’agit de cette foutue mise en selle dont les heures de « tape-cul » des écuyers de ma génération et des précédentes sont marqués « à vie » par la recherche de cette posture particulière et du liant qui lui est associé formant, au final, une des particularité de ce qui était nommé comme étant la « belle équitation à la Française » ! Par le besoin d’obtenir des résultats rapides, cette « mise en selle » est, de nos jours, tombée dans les oubliettes et par conséquent, l’indépendance de nos mains et de nos jambes s’en est allée au rang d’une équitation passéiste ; quant à ceux qui y font référence, ils sont bien souvent considérés comme des aigris nostalgiques d’un autre temps !
Pas étonnant que dans ces conditions, soient apparus des concepts plus que des techniques qui, donnant bonne conscience à ceux qui les emploient, tendent à faire disparaître les mors et les éperons, voire pour se justifier, à fustiger ceux qui les emploient en les plaçant dans une catégorie de barbares issus d’une autre époque, bien cruels et irrespectueux (ça y est, le mot est lancé) des chevaux ! Faut-il rappeler que les méthodes, techniques et outils n’ont pour valeurs que celles de la main ou de la jambe qui les utilisent. Et pour aller au bout de l’idée, devrait apparaître comme évident que sans le liant indispensable issu d’une bonne posture à cheval, il y a bien peu de chance d’avoir cette indépendance des aides sans laquelle aucune précision, pour ne pas parler de la finesse ou de la délicatesse, aucune précision donc n’est envisageable dans l’emploi de la main et des jambes. Si je veux pousser le bouchon un peu plus loin, quant bien même s’en ressent une certaine amertume de son inutilité tant il apparaît comme évident de se retrouver dans un contexte de guerre contre des moulins à vents, en mettant en évidence que sans cette assiette souple et liante, devient utopique l’idée de ressentir la langue du cheval répondre à la main de son cavalier, sans que la bouche ne s’ouvre pour autant ; certains ont réagi, dans le meilleur des cas, avec des sourires de complaisance, exprimant que l’expression est plutôt de l’ordre poétique ! Et pourtant…
Chaque période a ses phénomènes de mode. Il y a peu, Oliveira était en « tête d’affiche », et on a vu une multitude de cavaliers surgir, étant tous d’anciens élèves de ce Maître, donnant l’impression qu’il n’avait jamais eu tant d’élèves … depuis sa disparition !
Actuellement, Beudant apparaît de plus en plus souvent, en arguant le fait qu’il avait la nature pour modèle. Si l’on retient ce que l’on veut bien retenir, et l’interpréter dans le contexte de notre époque, ne peut-on y trouver les arguments du courant « natural horsemanship » ? Qui n’aurait par conséquent…rien de bien nouveau… Pourtant, Beudant formulait que la cession de mâchoire s’apparente au « cheval qui sourit »…et je me demande comment, en licol, il aurait pu obtenir cette foutue cession … et tout ce qui en découle ! Ont occulté, les opposants de l’emploi d’une embouchure, que l’important n’est pas la cession de mâchoire, mais ce qu’elle implique dans la libération des tensions dans le corps du cheval, tout en étant conscient que cette fichue embouchure, employée avec « effets de forces », est bien évidemment néfaste et douloureuse pour le cheval, et ne peut amener la décontraction de toute façon ! De mémoire, lors d’un colloque à Saumur sur la cession de mâchoire, avait été mis en avant que dans l’emploi de la bride, son action dans la bouche avait d’une part moins de contrainte que le filet, et d’autre part devait être employée par touches de l’ordre de grammes (et non de kilogrammes…), ce qui ramène à … une mise en selle telle qu’elle permette au cavalier d’avoir cette finesse d’action de la main !
Sachant que la moindre action sur les rênes, en licol, a une répercussion sur la nuque (entre autre), pression à laquelle le cheval a été sensibilisé pour y céder (l’expression m’amuse, employée par un courant d’équitation éthologique rejetant la contrainte…), donc, en cédant à cette pression, le cheval a tendance à … abaisser le balancier tête-encolure. Dans ces conditions, comment peut-on envisager le relèvement de toute l’encolure, tête comprise ? Car si l’on en revient au respect du cheval, y est inclue sa préservation. Donc une « reconstruction posturale » permettant d’atténuer la surcharge de l’avant-main produite par le poids du cavalier…impossible à obtenir sans incohérence par le biais de licol, ou encore de bittless briddle…Je m’y suis essayé, toute la basse école s’obtient sans aucun problème et ces outils demeurent d’excellents outils pour l’éducation du cavalier, mais ne permettent pas d’obtenir, dans la descente des aides et j’insiste sur ce point, les airs et allures relevés qui, sauf pour les incultes, sont d’origines NATURELLES ! Le passage, le piaffer et autres sauts dits « d’école » sont d’origine naturelle. Je n’y peut rien, c’est comme ça, un cheval ! Je ne m’étendrai pas sur le fait que refuser au cheval qu’il les livre est de l’ordre d’une … contrainte certaine ! Et à ce jour, sans chercher à alimenter d’interminables polémiques ne menant à rien, je n’ai pu voir aucun cheval aborder ces Airs relevés, dans lesquels le cheval donne « tout le brillant que comporte son ensemble » sur un simple licol ou autre outil excluant l’embouchure. Je n’ai vu que des chevaux avec plus ou moins de « déséquilibre » sur l’avant-main, sous eux du devant pour ceux qui piaffaient, et connaissant le poids des rênes et de leur mousqueton « éthologiques », dans ce que j’appellerai une « vraie-fausse » descente de main ! La photo de Catherine Henriquet l’illustre parfaitement bien, le cheval piaffe, soit, mais est en déséquilibre sur l’avant-main et on ne peut être que de mauvaise fois que de ne pas l’admettre ! Ce qui n’enlève rien au talent de cette cavalière, bien évidemment, qui au moins a eu le mérite d’exposer que c’est possible, mais…

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Donc, pour parvenir à cet équilibre issu de cette reconstruction posturale, l’emploi d’un outil permettant d’élever (et d’abaisser) le balancier s’avère INDISPENSABLE, et le filet le plus simple permet d’y parvenir. Faut-il reprendre quelques photographies d’Etienne Beudant ? Je laisse à chacun le soin de faire ses propres comparaisons, tant dans la posture que dans l’équilibre…

Pour en revenir au filet, donc au principe d’employer ou non une embouchure, encore faut-il admettre que pour utiliser le filet en question, une éducation de … la main du cavalier demeure indispensable, au même titre que de la bouche de son cheval : si l’acier n’est pas naturel dans la bouche du cheval, son emploi ne l’est pas non plus pour la main ! Et pour y parvenir, faut-il rappeler que cette main, si elle n’est pas indépendante du corps du cavalier par une mise en selle satisfaisante, n’a que peu de chance de sentir quoi que ce soit et donc à fortiori, ne peut transmettre que des saccades et autres mouvements nuisibles à établir un « dialogue » entre la main et la bouche. Sans cette éducation « corporelle » qui seule, je crois, permet d’acquérir puis de développer « l’intelligence » de la main, il n’est pas étonnant que tant de cavaliers qui tiennent à peu près sur le dos de leurs chevaux, optent pour l’emploi d’outils ne leur permettant pas d’atteindre la bouche des chevaux, et … c’est tant mieux pour leurs chevaux ! De là à considérer qu’un autre maniant à cheval dans la descente des aides en bride et chaussé d’éperons soit du domaine de la barbarie…il me semble que l’inculture de la main (entre autres) provoque des réactions démesurées et bien « irrespectueuses » … En effet, celui qui n’a jamais ressenti cette sorte « d’apaisement, d’abandon, de lâcher-prise, de fluidité, de flexibilité, … » issus de la cession de mâchoire sans pour autant tomber dans une locomotion nonchalante, bien au contraire, ne peut pas entre-voir la sensation procurée si particulière et tellement personnelle, ressentie et évoquée différemment par tous ceux qui s’y sont essayés ! Faut-il que la main soit réceptive, accompagnatrice, bienveillante, etc… et je mettrai en avant le simple fait que le cheval est d’une sensibilité telle qu’il est capable de sentir une mouche posée sur lui ; ce qui m’amène à penser au chemin parcouru et à ce qui reste à découvrir quant à aiguiser la sensibilité de la main dans son dialogue avec la bouche !

Bien des choses ont été écrites, bien des choses ont été dites, et il est navrant de constater que l’inculture et le sectarisme s’appuient sur le refus d’accepter qu’au final, pour citer Baucher, « il n’est pas permis à tout le monde d’aller à Corinthe » ! Notre équitation contemporaine est l’héritière de l’Art Équestre, dans lequel la main de l’écuyer a un rôle clef…pour peu qu’elle soit instruite et sensible…
Pour ma part, je n’en éprouve guère plus que de la tristesse, tant cette « ignorance » de la main est difficile à combler, d’autant que tous les grands discours n’y changent rien ! Il n’y a là qu’une affaire de sensation, et tous les mots employés ne pallient pas au manque de RESSENTI qui ne peut s’obtenir et se développer qu’en … montant à cheval, encore et encore… toujours à l’affût des sensations renvoyées par le corps du cheval et de sa BOUCHE ; mais pour cela, il faut monter !
Ces quelques lignes ne devraient même pas exister tant il devrait être évident pour tout cavalier digne de ce nom au même titre que pour le musicien par exemple, combien il est bien difficile d’exprimer son ressenti autour d’une table sans instruments ni partitions ! C’est donc à cheval que j’invite les uns et les autres à exprimer ce qu’ils ont à débattre, les « démonstrations pratiques » étant en général plus « parlantes » que nos grands discours et nettement moins longs ! D’ailleurs, à l’heure où j’écris ces quelques lignes, je n’ai qu’une envie : quitter mon bureau pour aller partager un moment avec l’un de mes chevaux !

Malgré tout, pour clore ce chapitre, je ne peux pas faire l’impasse sur la stérilité de ces bagarres de clochers, constatant avec consternation la bêtise dont nous sommes capables ! Si l’équitation s’apparente à un Art, ce que je crois, tout le monde ne peut avoir du talent, c’est évident, et … ce n’est pas grave : ne peut-on aimer la musique sans être musicien soi-même, les arts plastiques sans avoir d’aptitudes à la peinture ou la sculpture, et sans pour autant incriminer les sculpteurs, peintres et musiciens pour autant…, leur reprochant d’employer des « outils » et des « techniques » qui, simplement, ne sont pas utilisables par tous sans quelques dispositions…